Les impôts, révélateurs d’inégalités, générateurs d’inquiétudes
Chaque printemps, les personnes ayant gagné des revenus au Québec et au Canada doivent transmettre leurs déclarations de revenus de l’année précédente.
Cette étape obligatoire, perçue par plusieurs comme cléricale et fastidieuse, peut, pour d’autres être une réelle source d’angoisse et révéler des enjeux beaucoup plus profonds : les inégalités des revenus, la dépendance financière, la violence économique et la faible littératie financière.
Nous profitons donc de cette période où nos calculatrices sont rivées sur cette déclaration annuelle pour vous entretenir sur les enjeux que vivent de nombreuses femmes, en ce moment même.
La sécurité financière des femmes
Selon Statistiques Canada (2015) [1], « la participation des femmes à la population active et leurs gains d’emploi demeurent toujours inférieurs à ceux des hommes, et la responsabilité disproportionnée des femmes en matière de tâches ménagères et de soins des enfants et des aînés contribue à leur vulnérabilité plus importante relativement à l’insécurité financière, en particulier lorsqu’il y a dissolution de l’union conjugale. »
Aussi, « les femmes sont plus vulnérables au faible revenu que les hommes. […], Elles sont moins bien rémunérées que les hommes ayant les mêmes qualifications, et ce, même si elles travaillent le même nombre d’heures. Les professions traditionnellement féminines présentent des salaires horaires moyens inférieurs à ceux des professions traditionnellement occupées par les hommes, même lorsqu’elles requièrent le même niveau de compétences. Les femmes sont également surreprésentées dans les professions faiblement rémunérées.
À la maison, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de s’occuper des enfants et des membres de la famille âgés ou ayant une incapacité. Combiner les rôles de soutien économique et de prestataire de soins est exigeant, de sorte que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de réduire leur nombre d’heures de travail ou de demeurer hors de la population active pour s’occuper de leur famille. »
Des proies faciles pour la violence économique
Son revenu d’emploi, si elle en a un, étant fréquemment plus bas que celui de son conjoint, la femme est plus souvent victime de violence économique de la part de ce dernier. Le conjoint ayant des revenus plus élevés peut s’en servir pour justifier la prise en charge complète des finances familiales. Il peut en découler une situation de contrôle financier, une opacité dans les revenus et dépenses et même une dépendance totale de la femme.
La violence économique peut prendre plusieurs formes, telles que :
- Contrôle des ressources financières et interdiction d’accès (budget, comptes bancaires) ;
- Surveillance des activités économiques de l’autre ;
- Imposition d’une dépendance à l’autre en matière financière ;
- Mauvaise gestion du budget familial : dépenses importantes pour des biens ou des services non nécessaires, excessivement chers, pouvant mettre en péril les finances familiales.
La littératie financière, une des clés vers l’autonomie
Cette prise de contrôle entière sur les finances familiales éloigne les femmes des connaissances essentielles liées à une saine gestion financière. C’est ce qu’on appelle la littératie financière.
Selon Statistiques Canada (2015) [2],
« les différences en matière de connaissances financières entre les sexes s’avèrent problématiques. […] Il a été démontré que les connaissances financières sont associées à des comportements financiers positifs et à des situations économiques favorables : les personnes ayant de plus grandes connaissances financières sont plus susceptibles de planifier leur retraite et d’accumuler, de ce fait, plus de richesse.
Inversement, les personnes ayant des connaissances financières moindres tendent à emprunter davantage, déclarent souvent un niveau d’endettement excessif et empruntent sur leurs comptes de pension. Elles accumulent finalement moins de richesse. »
De l’accompagnement au moment où ça compte
À travers les divers programmes et services du Y des femmes de Montréal, les conseillères et intervenantes constatent au quotidien l’impact de ces inégalités de revenus, des situations de contrôle financier et du manque de connaissances financières chez les femmes. Voilà pourquoi, depuis quelques années, dès le début du mois de mars, une équipe de bénévoles se rend disponible pour accompagner des femmes à faible revenu, souvent issues de l’immigration, dans leur déclaration de revenus annuelle. Une grande proportion des femmes qui profitent de cette clinique d’impôts bénéficient aussi de nos différents services résidentiels et sont accompagnées par nos intervenantes.
Pour plusieurs d’entre elles, les besoins de survie de base ont occupé toute leur énergie (un logement, de la nourriture, des vêtements, de la sécurité). Puis, lorsqu’elles s’installent au Y des femmes, la gestion financière, légale et administrative de leur vie reprend son cours. Selon le contexte du départ de leur milieu de vie habituel (par exemple lors d’un départ précipité pour cause de violence conjugale), il peut être difficile de retrouver les documents requis pour réaliser leur déclaration de revenu (carte d’assurance-sociale, documents officiels expédiés à la résidence familiale qu’elle a quittée, etc.). Notre équipe les soutient dans cette étape et les guide quant aux démarches à réaliser pour récupérer à nouveau tous les documents nécessaires.
Pour d’autres, divers sentiments surgissent lors de la période des impôts. Elles peuvent se sentir sans espoir face au faible revenu inscrit sur leur relevé d’emploi, elles peuvent éprouver un sentiment d’incompétence face à la complexité des étapes nécessaires pour remplir leur déclaration de revenus. Elles peuvent aussi ressentir de la culpabilité pour avoir négligé cet aspect clérical de leur vie, ou encore, éprouver de la peur ou de l’angoisse à l’idée de devoir remplir une déclaration commune avec un conjoint violent qu’elles ont quitté.
Une autre dimension fondamentale d’avoir une déclaration de revenus à jour, c’est qu’elle est nécessaire pour présenter une demande de logement dans un HLM ou tout autre type de logements subventionnés. Sans cette déclaration, l’obtention d’un logement autonome est réellement plus difficile, pour ne pas dire impossible.
La clinique d’impôts du Y des femmes de Montréal permet à ces femmes d’être soutenues, accompagnées et écoutées. Elles nous disent qu’elles sont soulagées car ce service leur permet de répondre à l’exigence gouvernementale, dans les délais prescrits et de façon adéquate.
Le Y des femmes souhaite que les femmes et les filles aient la possibilité, la capacité et les outils pour vivre leur vie à la hauteur de leur potentiel. Nous les accompagnons là où sont leurs besoins; en ce moment de l’année, nous leur offrons du soutien pour amoindrir le stress engendré par les déclarations de revenu et les accompagner vers davantage d’autonomie dans la gestion de leurs finances.
[1] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-503-x/2015001/article/54930-fra.htm
[2] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-503-x/2015001/article/54930-fra.htm