Lettre ouverte au premier ministre Trudeau : La décriminalisation du commerce du sexe ne profitera qu’aux acheteurs et aux proxénètes.

Le Y des femmes de Montréal et la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) ont co-rédigé une lettre pour souligner les contradictions entre les gestes posés par le gouvernement fédéral en faveur de l’égalité des femmes et des hommes et la récente adoption, sans aucun débat, par le Parti libéral du Canada d’une résolution prônant la Décriminalisation du travail consensuel du sexe et du commerce du sexe. La prostitution, peu importe comment on l’appelle ou la qualifie, est un phénomène social qui engendre des violences et déshumanise les femmes. La lettre qui suit exprime notre opinion à ce sujet.

Nous vous invitons à la signer en remplissant le formulaire au bas de cette page si vous adhérez à son contenu.** La période de signature est terminée. Merci à toutes et à tous de votre appui!

Si vous signez au nom d’un organisme, seul le nom de l’organisme paraîtra. Si vous signez à titre personnel votre nom complet apparaîtra. Vous pouvez également choisir de signer la lettre de manière anonyme.

Monsieur Justin Trudeau
Premier ministre du Canada
Chef du Parti libéral du Canada
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)
Canada  K1A 0A6

Montréal, le 18 avril 2018

Monsieur le Premier Ministre et chef du Parti libéral du Canada,

Nous soumettons à votre attention une situation profondément contradictoire au sein du Parti libéral du Canada et de votre gouvernement :

• d’une part un comité des communes fait des consultations à travers le pays pour mieux comprendre les enjeux de la traite humaine et de l’exploitation sexuelle et Développement Économique Canada appuie des mesures pour sensibiliser et prévenir l’exploitation sexuelle dans le cadre du Grand Prix de Formule 1 de Montréal;
• d’autre part, votre parti a approuvé, sans aucun débat, sans aucune consultation avec les organismes de femmes qui ont été victimes d’exploitation sexuelle ni aucun bilan documenté de la loi actuelle, la résolution 2764 « Décriminalisation du travail consensuel du sexe et du commerce du sexe »

Nous vous soumettons ici des éléments de réflexion qui doivent impérativement être pris en compte avant de céder à la tentation de faire de cette résolution une priorité d’action. Nous souhaitons vivement voir une action décisive de votre part à ce sujet.

La formulation de cette résolution lui donne des allures de mesure très bonne et progressiste, visant la sécurité des femmes dans l’industrie du sexe, en insistant sur une supposée dimension consensuelle du commerce du sexe. Toutefois, elle se base sur une analyse partielle et une vision déformée de la réalité et reprend des arguments régulièrement mis de l’avant par les partisans de la décriminalisation et de la légalisation complètes de la prostitution.

La résolution parle des « travailleuses » du sexe, comme si la prostitution était un choix de travail comme un autre. C’est oublier que plus de 90% de femmes ont été amenées à la prostitution par le manque de ressources, par le biais de la manipulation, de la menace, de la violence et de la dépendance… justement parce qu’elles sentaient qu’elles n’avaient plus de choix. L’immense majorité des femmes (plus de 80%) ont été recrutées alors qu’elles étaient mineures, vers un âge moyen de 14 ans et demi, sous de fausses prémisses (argent facile, vie luxueuse, amour inconditionnel). Peut-on vraiment considérer que ces femmes et ces filles ont fait un choix libre et éclairé, qu’elles exercent un « travail consensuel » ? Surtout si on considère également que 80% d’entre elles ont été victimes d’agressions sexuelles pendant leur enfance. [1]   

Les études soulignent que la majorité des femmes qui se prostituent souhaitent s’en sortir, qu’elles y soient entrées par libre choix ou non. Ce dont elles ont besoin, c’est d’avoir des options réelles pour s’en sortir. Ce qui manque à la loi actuelle, c’est que des stratégies efficaces soient mises en place pour aider les femmes à quitter la prostitution et la violence inhérente qui l’accompagne; pas qu’elle facilite la voie aux acheteurs et exploiteurs.

Insister sur la prostitution consensuelle sous-entend que cette dernière est acceptable mais que la prostitution « forcée », ne l’est pas. En fait, toute prostitution, consensuelle ou non, légale ou non, est dommageable pour les femmes et les filles. Les impacts physiques et psychologiques sur la santé mentale et physique sont dévastateurs et présents chez l’immense majorité des femmes qui vivent de la prostitution : dépendance aux drogues ou à l’alcool, symptômes du stress post-traumatique, taux de mortalité 40 fois supérieur à la moyenne nationale, clivage de la personnalité, agressions physiques répétées sur une longue période (allant des coups et blessures jusqu’au viol ou même le meurtre). 

De même, d’un point de vue social, considérer qu’il y a une forme acceptable de prostitution et la décriminaliser sous-entend qu’il est acceptable que le corps d’une femme, d’une fille (ou d’un homme ou d’un garçon) soit considéré et traité comme une marchandise, dont on fait bon ce qui nous semble une fois qu’on l’a acquise. Bref, le nouveau visage de l’esclavage… Il s’agit d’un recul inadmissible en termes d’égalité et de non-violence envers les femmes et les droits humains.

La décriminalisation entraîne la normalisation et la banalisation de la prostitution engendrant ainsi une hausse de la consommation du sexe tarifé; toute femme devient implicitement « prostituable ». Les acheteurs se sentent légitimés d’exiger, de menacer et de violenter les pourvoyeuses de services sexuels, sous le prétexte du « c’est légal maintenant, c’est ta job, c’est pour ça que je paye, c’est légal, j’y ai droit.» La décriminalisation vient légitimer la violence et la dangerosité inhérente à la prostitution. Dans les pays où la prostitution est légale (entre autres en Allemagne et aux Pays-Bas) les meurtres et les violences envers les femmes prostituées sont loin d’avoir diminué et des pratiques de plus en plus déshumanisantes ont cours. Un tenancier de bordel en Allemagne résume ainsi la situation : « Avant, je vendais du sexe.  Maintenant, je dois vendre de la violence pour satisfaire les clients. »[2]

Tout ceci c’est sans considérer les enjeux de sécurité publique. L’expérience des pays où la prostitution est légale ou décriminalisée démontre que cette approche entraîne une multiplication de grands et petits commerces du sexe ainsi qu’une augmentation des activités périphériques à la prostitution (gangs de rue, drogue, violence) et ce, partout dans le tissu urbain. Il est également démontré qu’elle génère une augmentation du trafic de mineures et de femmes sans statut.

Les femmes qui offrent des services sexuels ne sont plus criminalisées au Canada. Elles peuvent recourir à la police en toute impunité si des clients sont violents ou si elles désirent échapper à ce milieu de violence. Cette résolution arguant pour la décriminalisation ne profitera qu’aux acheteurs et aux proxénètes.

Est-ce que cette vision est conforme aux valeurs d’égalité des genres, de respect et de solidarité qui sont la marque de notre pays? Est-ce conforme aux obligations que nous avons comme société, comme pays envers nos enfants (ne perdons pas de vue que la majorité des femmes dans l’industrie du sexe y ont débuté vers un âge moyen de 14 ans et que 80% d’entre elles ont été victimes d’agressions sexuelles pendant l’enfance)? Est-ce conforme avec la position d’un parti et d’un gouvernement qui a été le premier à mettre de l’avant une approche différenciée selon le genre lors du dernier budget et qui se targue d’être féministe? Nous sommes d’avis que non.

Il nous fera plaisir d’en discuter avec vous le cas échéant et nous vous prions d’agréer, à titre de Premier Ministre du Canada et de chef Parti libéral du Canada, nos salutations distinguées.

La période de signature est terminée. Merci à toutes et à tous de votre appui!

Lettre rédigée par le Y des femmes de Montréal et la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) et endossée par les organismes et individus suivants :

Organismes

Afeas Bas-St-Laurent/Gaspésie
Afeas de Laval
Afeas Hautes-Rivières
Afeas Pointe-aux-Trembles
Afeas régionale Lanaudière
Afeas régionale Richelieu-Yamaska
Association féminine d’éducation et d’action sociale (Afeas)
Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM)
CALACS-Abitibi
CALACS Assaut sexuel secours Val-d’Or
CALACS Entre Elles
CALACS La Chrysalide
CALACS La Passerelle
CALACS Lanaudière
CALACS Laurentides
CALACS Rimouski
CALAS Outaouais
CATHII
Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) Châteauguay
Centre de femmes Ilot d’Espoir
Centre Rayons de femmes Thérèse-De Blainville
Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement (CAFES)
Comité des femmes de l’AFPC Quebec
Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)
Confédération des Syndicats nationaux
isala asbl (Belgique)
L’Élan-CALACS
La pointe du jour *CALACS Sept-Iles
Maison d’Hébergement Pour Elles Des Deux Vallées
Maison Unies-Vers-Femmes
Multi-Femmes
Point d’appui
Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)
Regroupement des Haitiens de Montréal Contre l’Ocupation d’Haiti (REHMONCO)
Regroupement québécois des CALACS
Réseau des répondantes à la condition des femmes – Diocèse de Gaspé
Service de solidarité sociale / Diocèse de Saint-Jean-Longueuil
Sisyphe, un regard féministe sur le monde
Table de concertation de Laval en condition féminine
Table de concertation des groupes de femmes Bas-Saint-Laurent
Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes
Y des femmes de Montréal