Réflexions du Y des femmes de Montréal déposées dans le cadre des consultations de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineur.es du gouvernement du Québec.
Ces réflexions sont appuyées par Action jeunesse de l’Ouest-de-l’Île et Justice Alternative du Suroît, partenaires du projet Maillage.
Note : Femme ou fille fait référence à toute personne s’identifiant comme telle.
Table des matières
- PRÉAMBULE
- PRÉVENTION – SENSIBILISATION – ÉDUCATION
- Prévention et dépistage en milieu scolaire – les jeunes
- Prévention et dépistage en milieu scolaire – les écoles
- Le milieu communautaire, un allié de premier plan
- La concertation et la collaboration, la clé du succès
- Banalisation de la pornographie de mineures
- L’industrie touristique, du divertissement et de la restauration
- Sensibilisation massive et dissuasion efficace
- Prévention de la récidive pour les clients-abuseurs
- DÉPISTAGE – SIGNALEMENT
- INTERVENTION
- PROCESSUS DE SORTIE
- CADRE LÉGAL ET STRUCTUREL
- CONCLUSION
- PRÉSENTATION DE L’ORGANISME
Préambule
Le Y des femmes de Montréal salue l’initiative de l’Assemblée nationale de mettre sur pied cette Consultation sur l’exploitation sexuelle des mineures[2] et nous espérons que les réflexions qui suivent permettront de contribuer à la mise en place de moyens efficaces pour contrer et prévenir cette exploitation.
Nous tenons aussi à souligner que le document de consultation élaboré aux fins de cette commission dresse un excellent tour d’horizon de la situation et des enjeux entourant l’exploitation sexuelle des mineures : qui sont les victimes, quels sont les lieux et les moyens, le cadre légal, la croissance du phénomène, le besoin d’un continuum de service et suivi auprès des victimes après 18 ans, les conséquences humaines de l’exploitation, le lien entre l’exploitation sexuelle et la traite de personnes, les différents acteurs de l’exploitation (proxénètes, trafiquants, clients-abuseurs, acteurs indirects).
Nous n’allons donc pas refaire le portrait d’une situation que les membres de la Commission connaissent déjà. Les réflexions, pistes d’action et suggestions que nous soumettons ici sont directement articulées autour des questions soumises dans le document de consultation.
Aux fins de cette commission, seule l’exploitation sexuelle des mineures est considérée. Nous allons respecter cette distinction dans le cadre du présent document. Nous tenons toutefois à souligner que l’exploitation sexuelle ne connaît pas de limite d’âge, surtout quand on considère que les femmes actives dans l’industrie du sexe, ont majoritairement été recrutées lorsqu’elles étaient mineures. Cette considération est fondamentale et devra être prise en compte au moment où des solutions seront mises de l’avant par la Commission.
Nous voulons aussi mettre en relief la définition sur laquelle nous nous appuyons pour définir l’exploitation sexuelle en prenant le code criminel du Canada comme document de base.
Définition
L’exploitation consiste à amener une personne à fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.[3] Ces agissements incluent, entre autres, l’utilisation ou la menace d’utiliser la force, contrainte, recourir à la tromperie, abuser de pouvoir ou de confiance.
En cohérence avec ce qui précède, le Y des femmes de Montréal et ses partenaires considèrent que l’exploitation sexuelle reprend la définition de l’exploitation, appliquée à des fins d’ordre sexuel. [4]
Prévention – sensibilisation – éducation
Le Y des femmes de Montréal juge que les changements systémiques et sociaux passent, notamment, par la prévention et une meilleure compréhension des enjeux. D’où l’importance d’agir en amont, en utilisant différentes stratégies.
La recherche, le repérage, l’identification et l’évaluation des besoins des victimes sont nécessaires pour construire des stratégies de prévention efficaces et adaptées avec des impacts réels et durables. Voilà pourquoi nous considérons que des ressources doivent être allouées pour dresser des portraits complets et spécifiques aux réalités vécues dans les différentes régions de la province.
La prévention passe aussi par le partage de connaissances et la formation, et ce, à plusieurs niveaux : la formation des jeunes aux notions de relations saines et égalitaires, de respect de la vie humaine et du développement de la pensée critique; celle des milieux scolaires, communautaires et institutionnels pour les outiller et les aider à prévenir, identifier et intervenir en cas d’exploitation sexuelle; celle des industries touristiques, hôtelières, du taxi et du commerce de détail pour être mieux informés et savoir réagir adéquatement et à qui s’adresser face à de possibles cas d’exploitation sexuelle; celle des instances politiques pour leur permettre d’effectuer les changements aux lois, politiques et règlements de manière mieux éclairée. Bref, mieux comprendre pour mieux prévenir et agir.
Prévention et dépistage en milieu scolaire – les jeunes
Auprès des jeunes d’abord, peu importe leur identité de genre, pour les éduquer aux relations saines, égalitaires, non-violentes et respectueuses de l’autre, développer leur esprit critique à cet égard et agir en contrepoids des exemples trouvés sur le web (la pornographie en ligne est une des sources principales d’information des jeunes en termes de relations sexuelles). À cet égard, nous saluons le retour (trop timide) des cours d’éducation sexuelle dans les écoles.
Nous remarquons une montée du discours qui cherche à valoriser les activités reliées au commerce du sexe et à l’exploitation sexuelle. Les termes « travail » du sexe, escorte de luxe, empowerment (pour celles qui s’y adonnent), activité commerciale, entrepreneuses du sexe sont tous des termes qui font miroiter l’argent, l’agentivité, le libre choix (pas toujours si présent ni évident) des travailleuses du sexe et souligne l’aspect consensuel (ou non) de cette activité.
Ces arguments trouvent un écho croissant chez les jeunes filles. Nous entendons, parmi les groupes de filles avec lesquels nous ou nos partenaires travaillons, des réflexions du genre « l’important, c’est d’avoir un bon manager[5], quelqu’un qui prend vraiment soin de toi » ou des remarques comme « être escorte, c’est pas mal plus payant qu’une job au salaire minimum pis t’as des beaux vêtements ». Quand on souligne la violence ou la dimension sexuelle associée à ces offres, les filles sont souvent surprises, elles ne sont pas conscientes de cet aspect. Leur réaction en dit long sur la tromperie du discours et l’illusion de libre choix : « mais… on peut toujours dire non, hein? ».
Les mesures de sensibilisation auprès des jeunes (filles et garçons) doivent donc aborder directement des thèmes comme les tactiques de recrutement et la violence inhérente à l’exploitation sexuelle afin de lutter contre la banalisation et la « glamourisation » du phénomène. En abordant la réalité du recrutement en amont auprès de jeunes, non seulement nous les outillons pour ne pas se faire exploiter…mais aussi à ne pas vouloir exploiter.
Pistes d’action
- Bonifier les cours d’éducation sexuelle pour inclure, entre autres, des notions comme la pornographie en ligne et la prévention et l’éducation au phénomène de l’exploitation sexuelle.
- Ces cours doivent faire partie officielle du cursus scolaire et être donnés par des spécialistes selon les thèmes (sexologie, intervenantes psychosociales, policiers, travailleuses de rue, survivantes).
- Le contenu des cours doivent être élaborés en collaboration avec des spécialistes.
- Les jeunes devraient être consultés pour élaborer des cours qui leur « parlent » vraiment, qui correspondent aussi à leurs propres questionnements en matière de sexualité et de relations saines et égalitaires; des cours dont le ton et l’approche collent aux modes de communication actuels des jeunes (plateformes et outils favorisant l’interactivité, l’autoformation, l’autonomie dans l’apprentissage, la discussion en ligne (anonymat possible), le jeu en ligne, etc.) Bref, ici, « Medium is the message » devient fondamental.
Prévention et dépistage en milieu scolaire – les écoles
Auprès des écoles elles-mêmes et de l’ensemble de leur personnel. Leur rôle est crucial. Les écoles sont les principaux milieux de vie des jeunes, il est impératif qu’elles se dotent d’outils et de mécanismes de dépistage et que tout le personnel de l’école puisse se les approprier. [6] Il s’agit ici de créer des équipes multipartites autour des jeunes pour assurer la cohérence des actions de prévention et dépistage (enseignant.es, personnel d’intervention de l’école, famille, éducateur.trices ou intervenant.es externes, entraineur.ses sportifs, etc.).
Pour ce faire, nous considérons qu’il est important que toutes les écoles soient accompagnées dans leurs démarches et qu’elles disposent des ressources supplémentaires pour embaucher des ressources spécialisées afin d’élaborer et mettre en place ces mécanismes et les mesures de sensibilisation auprès de leurs élèves et étudiants.
Finalement, il faut tenir compte du fait que le corps enseignant et les directions d’école ne sont pas des spécialistes de l’exploitation sexuelle; même quand des ressources financières supplémentaires leur sont octroyées, les écoles ne savent pas toujours où trouver l’expertise adéquate et adaptée en fonction de leur territoire et du milieu où elles évoluent. Nous considérons que le gouvernement devrait créer un guichet d’accès facile et rapide vers ces ressources, à travers tout le Québec.
Pistes d’action
- Demander que les écoles aient des plans de prévention, de dépistage et d’intervention et que leur personnel soit formé (enseignant.es, surveillant.es, intervenant.es, directions, T.E.S., entraîneur.ses, etc.).
- Donner aux écoles les ressources supplémentaires nécessaires pour embaucher plus de ressources spécialisées (en sexologie, psychoéducation, travail de rue, survivantes) et formées en matière de violence et d’exploitation sexuelles.
- Constituer une banque d’organismes formateurs, de formations, d’ateliers et d’outils accrédités –divisée par région et par thème – pour que les écoles aient facilement accès à ces ressources et pour assurer que le personnel et les élèves de toutes les établissements scolaires au Québec, peu importe leur région, reçoivent des informations équivalentes et adaptées à leur réalité.
- Mettre en place une instance responsable de la mise en place, gestion, accréditation, collecte et mise à jour de cette banque de ressources.
Former les étudiants universitaires ainsi que les corps policiers dans les différentes disciplines qui peuvent les amener à travailler en contact avec des jeunes en milieu scolaire aux réalités des violences et de l’exploitation sexuelle (éducation, travail social, éducation spécialisée, droit, psychologie, infirmière scolaire)
Le milieu communautaire, un allié de premier plan
Plusieurs organismes communautaires jeunesse, dans toutes les régions du Québec, ont développé une expertise considérable en action et intervention auprès des jeunes de leur milieu. Pour répondre aux besoins d’éducation, de formation et de sensibilisation des jeunes et des milieux scolaires, ces organismes ont besoin de fonds supplémentaires récurrents pour non seulement développer des projets novateurs mais pour les faire vivre, circuler et évoluer, pour conserver leurs équipes et l’expertise développée par leurs professionnels et pour mener des actions de concertation et collaboration avec d’autres acteurs terrains de leur région.
Piste d’action
- Bonifier le financement récurrent des organismes communautaires en considérant un taux horaire correspondant à la réalité du marché de l’emploi.
La concertation et la collaboration, la clé du succès
Lors du Rendez-vous Maillage[7], journée de concertation intersectorielle sur l’exploitation sexuelle, ainsi que lors du colloque De la rue au virtuel : l’exploitation sexuelle et la prostitution juvénile en 2019, les organismes présents ont manifesté le besoin de mettre en place des mécanismes efficaces de collaboration intersectorielle (communautaire, jeunesse, scolaire, policier, santé) et interrégionale.
La concertation, la collaboration et le partage d’outils, information et meilleures pratiques entre toutes les parties prenantes (organismes, milieux policiers, de l’éducation, de la justice, lignes d’écoute, etc.) est un excellent moyen de prévention et d’intervention que le gouvernement gagnerait à financer. La constitution de réseaux organisés, structurés et bien informés, en amont de l’exploitation, est essentielle. Des réseaux de partenaires qui se connaissent, qui savent ce que les autres font et qui sont en mesure de venir en aide adéquatement aux victimes de la traite selon leurs besoins permettraient de resserrer les mailles du filet.
À cet égard, deux enjeux majeurs ont été soulevés : la confidentialité au moment de partager des informations concernant les victimes, les proxénètes ou les clients-abuseurs (les normes des différents ordres professionnels sont – à juste titre – très strictes à cet égard) et le manque de ressources (humaines et financières) pour développer, participer et maintenir ces concertations et collaborations.
La collaboration et le partage d’information ne doivent pas être qu’intersectoriels ou interrégionaux. Ils doivent aussi être interprovinciaux. Il est bien connu que les filles recrutées sont amenées à offrir des services sexuels un peu partout au pays, au gré de la demande et des événements.
Pistes d’action
- Financer des instances régionales de concertation.
- Octroyer des fonds aux organismes pour participer à ces concertations.
- Mettre en place un système permettant de mettre en commun des ressources et des informations cruciales pour retracer et aider les victimes, alimentées par toutes les parties prenantes.
- Travailler de concert avec les ordres professionnels (incluant les corps policiers) pour trouver des solutions aux enjeux de confidentialité.
- Amener le sujet de la traite des mineur.es et du besoin d’une collaboration pan-canadienne lors d’une prochaine rencontre interprovinciale afin que cet enjeu fasse officiellement partie des priorités d’action de toutes les provinces et territoires.
Banalisation de la pornographie de mineures
Le web est un outil majeur de banalisation de la pornographie juvénile. Les sites web pornographiques offrent du contenu – complètement libre d’accès – qui promet des vidéos de sexe mettant en scène des mineures. Ces vidéos sont très souvent amenées en insistant sur le caractère non consentant ou même incestueux de l’acte.
Cette offre existe parce que les internautes-abuseurs recherchent et demandent ces contenus. Nous avons constaté avec désarroi que 34% des recherches internet ayant mené les internautes vers notre site de sensibilisation à l’hypersexualisation des jeunes étaient des recherches de contenu pornographique mettant en scène des enfants ou des adolescents.[8] Bref, l’offre et la demande de sexe avec une teen est complètement banalisé sur le web régulier. Même plus besoin de s’aventurer sur le dark web pour en faire la promotion ou y avoir accès.
Nous considérons que la pornographie est une forme d’exploitation sexuelle. Ceci étant dit – et sachant pertinemment qu’il est à toutes fins impossible de mettre fin à cette industrie et qu’il s’agit-là d’une autre question – n’y aurait-il pas lieu, au moins, d’empêcher les sites pornographiques de faire la promotion de quelque chose qui est carrément illégal et criminel, soit la pornographie avec des mineures? Pour se défendre, ces sites argueront que les vidéos proposées ne mettent pas vraiment en scène des mineures (souhaitons-le…); mais le fait d’en faire la promotion, de les présenter comme telles non seulement vient banaliser ce crime, mais constitue un crime en soi.
Piste d’action
- Agir de concert avec des spécialistes en intelligence artificielle pour développer des mécanismes qui empêcheraient l’affichage de ces vidéos ou qui déclencheraient des alertes de sensibilisation à l’internaute-abuseur – qui les consulte ou qui les met en ligne – à l’effet que la pornographie de mineures est un crime.
L’industrie touristique, du divertissement et de la restauration
En ce qui concerne les acteurs indirects, entre autres ceux de l’industrie du tourisme, du divertissement et de la restauration, le Y des femmes de Montréal soumet les Pistes d’action suivantes.
Pistes d’action
- Les critères de financement des grands événements touristiques devraient inclure l’obligation de mettre en place des mesures contre la traite et l’exploitation sexuelle, au même titre que des mesures de sécurité générale ou des plans d’évacuation. Ces mesures devraient être élaborées et mises en place avec la collaboration de diverses instances comme les services de police, les services de transport, les commerces, l’industrie du taxi et de l’hôtellerie ainsi que des organismes communautaires possédant l’expertise nécessaire en la matière.
À cet égard, nous attirons votre attention sur l’initiative Commande un angelot pour les bars. Cette dernière initiative pourrait facilement être adaptée aux événements touristiques, et être combinée avec d’autres mesures comme celle des Hirondelles, mise en place par l’Équipe Spectra avec la collaboration du réseau des CALACS et sur les recommandations émises par le Conseil des Montréalaises dans son Avis sur la sécurité des femmes et des des jeunes femmes cisgenres et trans lors des événements extérieurs à Montréal.
La formule de l’angelot pourrait également être adaptée et étendue aux milieux de la restauration, de l’hôtellerie, du transport (taxi, transport en commun et autres moyens de transport), bars et restaurants, établissements hôteliers.
- Des incitatifs fiscaux pourraient être offerts aux établissements qui mettent en place des mécanismes de ce genre ou qui suivent des formations comme celle que s’apprête à lancer Le Phare des Affranchies auprès de milieu hôtelier. Une certification annuelle de formation pourrait être envoyée au moment de la déclaration d’impôts.
La même stratégie pourrait être adaptée au commerce de détail (les centres commerciaux, établissements de restauration rapide et les abords de dépanneurs sont aussi des emplacements de choix pour le recrutement à des fins d’exploitation sexuelle.)
- Créer une certification « commerce allié » que les établissements pourraient afficher et renouveler annuellement.
Sensibilisation massive et dissuasion efficace
Finalement, la sensibilisation massive est aussi un outil efficace de prévention, surtout si elle est adaptée en fonction des publics cibles. Une approche publicitaire ciblée avec des objectifs semblables à ceux du marketing gagnerait ici à être utilisée. Les grands joueurs de l’industrie des réseaux sociaux doivent faire partie de cette initiative. L’importance de ces campagnes est de faire en sorte que tout le monde soit interpellé et qu’il ne revienne pas juste aux victimes potentielles de savoir identifier les risques et de se protéger. Des campagnes de ce type contribuent aussi à déconstruire la stigmatisation qui pèse lourdement sur les survivantes d’exploitation quand elles cherchent à reconstruire leur vie.
Les vastes campagnes de prévention et de sensibilisation, soutenues par le gouvernement, ont démontré leur efficacité. Nous n’avons qu’à penser à l’alcool au volant par exemple. Aujourd’hui, tout le monde sait que l’alcool au volant c’est criminel et on ne conduit plus en état d’ébriété. Ceux qui le font savent très bien qu’ils s’exposent à des conséquences sérieuses.
En fait, ces conséquences sont souvent la raison de ne pas conduire en état d’ébriété, peut-être même plus que le fait que ce soit un acte criminel. Au-delà des amendes significatives, la peur de perdre le permis de conduire est un moyen de dissuasion extrêmement efficace. Nous croyons donc que des sanctions additionnelles aux seules amendes monétaires doivent être mises en place. Surtout si on tient compte de ce que les clients-abuseurs sont prêts à débourser pour obtenir du sexe tarifé avec des mineures.
Pistes d’action et suggestion :
- Développer des campagnes massives pour dénormaliser le phénomène de l’exploitation sexuelle. Ces campagnes pourraient être déclinées en fonction des publics cibles sur différentes plateformes avec la collaboration de spécialistes pour les plateformes numériques
- Appliquer la loi fédérale et s’assurer que les clients-abuseurs soient enregistrés dans le Registre national des délinquants sexuels.
- Suggestion : Et si on considérait des mesures fiscales pour les clients-abuseurs?
Prévention de la récidive pour les clients-abuseurs
En ce qui concerne les clients abuseurs, en plus de sanctions significatives, nous suggérons donc une approche de sensibilisation et d’éducation pour qu’ils comprennent les impacts de leur geste et pour favoriser le développement d’un comportement pro social.
Pistes d’action
- Les clients-abuseurs devraient être obligés de suivre un processus d’éducation et de réhabilitation obligatoires (par exemple au centre de réhabilitation en délinquance sexuelle de Percé)
- Les amendes imposées aux clients abuseurs pourraient être versées dans un fonds spécialement créé pour lutter contre l’exploitation sexuelle.
Depistage – signalement
Les réseaux sociaux
Pour les adolescentes, les relations sur les réseaux sociaux ne sont pas « virtuelles ». Elles sont de vraies relations et les amis qu’elles s’y créent – même ceux qu’elles n’ont jamais vus en personne – sont tout aussi dignes de confiance que ceux et celles côtoyé.es au quotidien. Ces mêmes réseaux sociaux sont aussi de « vrais » outils de recrutement. Ils facilitent l’anonymat des recruteurs en plus de leur permettre de suivre plusieurs proies en même temps. Ces plateformes ouvrent grand la porte aux habitudes, aux goûts, aux amis et même à la localisation en temps réel des filles en voie d’être recrutées. Ils permettent aux recruteurs d’être encore plus efficaces dans leurs discours de séduction et de promesses. Ils permettent même l’exploitation à distance et en direct des filles.
Piste d’action
- Là encore, des alliances de haut niveau doivent être faites avec les dirigeants des grandes plateformes de réseausocialisation et avec des spécialistes en intelligence artificielle pour contrer le phénomène du recrutement, de la traque et de l’exploitation en ligne. À cet égard, la collaboration de YWCA Canada avec Facebook Canada pourrait sûrement être mise à profit.
Intervention
Sécurité immédiate et soutien aux victimes
Les victimes d’exploitation ont souvent peur de s’adresser aux corps policiers; les équipes d’intervention doivent inclure des personnes issues d’autres milieux (santé, travail social/de rue, hébergement, prévention des violences) qui seront en mesure de répondre immédiatement à leurs besoins.
Comme l’exprime bien une survivante « C’est beau d’arrêter un pimp, mais la plupart des filles demanderont aux policiers : « Mais ce soir, je dors où ? » Les intervenant.es sur place doivent être immédiatement en mesure d’identifier quelles ressources sont disponibles et lesquelles sont les mieux adaptées selon les besoins de la femme ou de la fille (son âge, son état de santé physique et mental, sa langue, sa situation juridique et familiale, son statut migratoire, la présence d’enfants ou d’animaux, etc.) D’où l’importance d’avoir accès rapidement à des outils partagés, régulièrement mis à jour et adaptés selon les régions.
Il faut augmenter les ressources existantes et mettre en place des ressources spécialisées pour héberger et éloigner immédiatement ces filles[9] du milieu d’exploitation où elles se trouvent. Elles n’ont souvent pas un sou en poche parce qu’elles sont dépendantes de celui qui les exploite en plus d’avoir parfois coupé les ponts avec famille et amis de leur « ancienne » vie.
Peut-être même y aurait-il lieu de considérer la mise sur pied d’un réseau de « foyer amis » (un peu comme la formule Parents-Secours), le temps de de passer un appel en toute sécurité ou de trouver une place dans une ressource spécialisée?
Nous insistons sur la mise en place de ressources d’hébergement spécialisées car la situation des femmes et des filles exploitées sexuellement est différente de celle des femmes et des filles agressées sexuellement ou victimes de violence conjugale ou familiale. Le contexte et la dynamique de cette violence sont différents, tout comme le degré de stigmatisation sociale. Les processus de réinsertion sociale sont aussi très différents. Les femmes et les filles victimes d’exploitation sexuelle ont besoin de ressources spécialisées.
Nous considérons aussi que ces ressources doivent jouir d’un anonymat sécuritaire, comme c’est le cas, par exemple, des ressources en violence conjugale. A l’heure actuelle, les centres jeunesse sont très facilement identifiables et sont une cible de choix pour les proxénètes.
Pistes d’action et suggestion
- Constituer des équipes d’intervention élargies (santé, travail social ou de rue, hébergement, prévention des violences, etc.) pour répondre immédiatement et adéquatement aux besoins exprimés par les victimes.
- Une banque de ressources d’hébergement constamment mise à jour.
- Augmenter le financement et le nombre et le type de ressources d’hébergement
- Créer des ressources d’hébergement spécialisées pour les victimes d’exploitation sexuelle
- Assurer l’anonymat de ces ressources
Suggestion : Mise sur pied d’un réseau de foyers amis?
Processus de sortie
Ressources et accompagnement 3600 à long terme
Les études et les expertises des différents organismes accompagnant les femmes et les filles désirant sortir de l’exploitation sexuelle soulignent de multiples tentatives sont nécessaires pour en arriver à une sortie durable. Des ressources de suivi, d’hébergement de deuxième étape et de soutien à long terme sont nécessaires pour créer un lien de confiance, essentiel à tout processus de réinsertion réussi. De cette façon, les filles (ou les femmes recrutées à l’adolescence) peuvent bénéficier d’un suivi à long terme, retrouver leur confiance, leur agentivité, développer un nouveau réseau d’appartenance, (re) bâtir des relations saines et véritablement se sortir de l’exploitation. Un accompagnement par des intervenantes professionnelles est nécessaire pour toutes ces étapes en apparence simples mais qui sont énormes quand la stigmatisation sociale est partout : retourner à l’école, à la maison, faire face aux ami.es, retrouver un emploi, affronter le processus médical, légal et judiciaire dans le cas de blessures ou dénonciation, etc.[10]
Des projets complémentaires à l’hébergement gagneraient aussi à être financés pour faciliter la transition vers la réinsertion sociale libre d’exploitation. Des endroits sécuritaires où les survivantes peuvent partager, échanger, apprendre et créer sans être jugées. Se refaire une vie, se reconstruire une appartenance, retrouver la sécurité et la confiance en soi et reprendre le chemin de l’autonomie en toute sécurité, ça va bien au-delà de la dénonciation et d’être retirée pour un soir du milieu de l’exploitation sexuelle.
Pistes d’action
- Développer des stratégies intégrées d’intervention 3600 (hébergement, suivi, partage, échange, soutien à long terme) qui tiennent compte des différentes composantes (aspect humain, économique, légal, social, etc.) et du temps dont les survivantes ont besoin pour récupérer une vie satisfaisante, sécuritaire et autonome.
Soutien financier aux organismes
Il y a peu d’organismes qui fournissent des services de suivi, accompagnement, hébergement et soutien aux victimes d’exploitation sexuelle. Pour l’instant, ces services sont souvent offerts par des organismes qui offrent du soutien aux victimes d’agression sexuelle ou de violence conjugales. Ces ressources débordent… D’un côté comme de l’autre, ces organismes ont besoin de soutien financier. Pour adapter leurs méthodes d’intervention, pour participer aux instances de collaboration et concertation, pour offrir des services stables, adéquats et adaptés aux besoins de victimes. Chaque situation est unique et doit être traitée adéquatement en fonction de ses caractéristiques propres.
Pour être efficace et bien accompagner les survivantes, le personnel de ces organismes doit aussi être soutenu par des conditions de travail adaptées, tant au niveau des horaires, des salaires et du soutien qu’au niveau des mesures de sécurité et de protection adéquates. N’oublions pas que ces professionnelles doivent jongler au quotidien avec des situations d’urgence, de violences et de traumatismes complexes.
Pistes d’action
- Améliorer le réseau des ressources (financement, conditions de travail, nombre de ressources, sécurité des intervenantes) avec des critères et des conditions au moins équivalentes à celles qui prévalent dans la fonction publique.
Cadre légal et structurel
Pistes d’action
- Nous recommandons que l’Assemblée nationale du Québec vote une motion demandant la mise en vigueur immédiate du projet de loi C-452 (modifiant le code criminel au sujet de l’exploitation et de la traite de personnes), qui a reçu la sanction royale en 2015 mais qui n’est toujours pas ratifiée par le gouvernement du Canada.
- Reconnaître que l’exploitation sexuelle est une violence sexuelle, au même titre qu’une agression.
- Rendre les victimes d’exploitation sexuelle admissibles aux prestations d’aide aux victimes d’actes criminels.
- Traiter l’exploitation sexuelle comme enjeu transversal à plusieurs ministères (éducation, santé, sécurité publique, justice, jeunesse). À ce titre, cet enjeu pourrait relever directement du Premier Ministre par le biais du secrétariat à la Jeunesse qui aurait l’obligation de produire et mettre en place un plan de lutte à l’exploitation sexuelle.
- Exiger des plans d’action de la part des ministères concernés.
Conclusion
Depuis 145 ans, le Y des femmes de Montréal a sans cesse contribué à générer des changements positifs et durables quant à l’égalité, à l’inclusion, à la sécurité et à la non-violence envers les femmes et les filles. Nous sommes heureuses aujourd’hui de contribuer de nouveau à un processus de réflexion qui rapprochera le Québec d’une société sécuritaire, libre d’exploitation et sans violence pour les femmes et les filles.
Il nous fera plaisir de maintenir et développer cette collaboration tout au long du processus qui guidera l’intervention du gouvernement du Québec quant aux enjeux touchant l’exploitation sexuelle.
Présentation de l’organisme
Le Y des femmes de Montréal
Le Y des femmes de Montréal a été fondé le 23 février 1875, ce qui en fait un des organismes communautaires avec la plus longue histoire de la métropole. Au fil du temps, le Y des femmes de Montréal a su se renouveler, s’adapter aux besoins des femmes et des filles à travers toutes les époques et accompagner des centaines de milliers d’entre elles dans de nouvelles voies vers un avenir meilleur.
En savoir plus sur la mission, les valeurs et la vision du Y des femmes de Montréal
Le Y des femmes de Montréal souligne et reconnait que :
- le lieu où il est situé, en plein cœur du centre-ville, est un territoire autochtone traditionnel des nations Mohawk et Anishnabe;
- ce territoire n’a pas été cédé;
- ce territoire a longtemps été un lieu de rencontres et d’échanges entre diverses nations autochtones.
Ces nations ont contribué et contribuent encore à bâtir une identité collective riche, inclusive et signifiante. Nous les remercions.