Réflexions du Y des femmes de Montréal déposées dans le cadre des consultations du ministère de l’Éducation sur le programme d’études Éthique et culture religieuse.
Note : Femme ou fille fait référence à toute personne s’identifiant comme telle.
Préambule
Le Y des femmes de Montréal salue l’initiative du ministère de l’Éducation de vouloir faire une plus grande place à l’éducation sexuelle et au développement de soi et des relations interpersonnelles dans le cadre de la réforme du cours d’éthique et culture religieuse. Nous aurions aimé que les consultations débordent du milieu de l’éducation et s’étendent au milieu communautaire, car les intervenant.es de multiples organismes possèdent une riche expertise auprès des jeunes au sujet de ces thèmes.
La société actuelle est hautement stéréotypée et hypersexualisée. La culture populaire, la publicité et les réseaux sociaux, entre autres, nous bombardent d’images de filles et de femmes correspondant à des idéaux de beauté retouchée et de modèles masculins hyper musclés, dominateurs et très souvent vulgaires ou méprisants envers les femmes et les filles.
D’autre part, les plateformes virtuelles, omniprésentes dans la vie des jeunes, multiplient les canaux et les types de communication 24h/7j, relayant tout type d’information et de contenus. L’heure n’est plus à tenter d’endiguer cette réalité ni à déplorer et condamner la trop grande utilisation des médias virtuels par la jeunesse actuelle. Cette virtualité est la réalité quotidienne des enfants et adolescent·es.
À travers cet univers en mouvance constante, à l’âge où l’être humain est en pleine construction de son identité, il est difficile de trouver des repères pour développer un esprit critique, des relations saines, une sexualité équilibrée et une image de soi constructive.
Au Y des femmes de Montréal, nous croyons que les changements systémiques et sociaux passent, notamment, par la prévention et une meilleure compréhension des enjeux. Voilà pourquoi nous travaillons depuis longtemps auprès des jeunes. La première étude que nous avons publiée sur les besoins des adolescent.es remonte d’ailleurs à 1956.
Plus près de nous, depuis une vingtaine d’années, nous avons accru notre présence dans les écoles primaires et secondaires de Montréal (surtout) et de la province. La sexualité, le développement de soi et les relations interpersonnelles sont au coeur de notre action et nous avons créé plusieurs outils (tant pour les milieux que pour les jeunes). Certains de nos projets ont reçu des prix Égalité Thérèse-Casgrain. Nous souhaitons donc ici partager notre expertise et vous faire part de certaines réflexions.
Un principe de base et fondamental : l’ADS+
L’action du Y des femmes de Montréal s’articule autour des notions d’égalité, d’inclusion et de non-violence envers les femmes et les filles et applique une analyse intersectionnelle différenciée selon le sexe (ADS +). On ne peut parler de développement de soi et des relations interpersonnelles sans aborder les notions d’inclusion qui sont le coeur de cette approche (sexe, genre, apparence, origines ethnoculturelles, orientation sexuelle, etc.). Notre première recommandation est de faire de l’ADS+ un principe de base pour l’élaboration du contenu du futur cours.
Recommandation : Que l’élaboration du contenu du nouveau cours applique l’analyse intersectionnelle différenciée selon les sexes (ADS+).
Éducation à la sexualité
Plus c’est mieux
À l’heure actuelle, le temps accordé à l’éducation à la sexualité dans les écoles varie de 5h à 15h; soit l’équivalent de 5 à 25 minutes par semaine si on se base sur une année scolaire de 38 semaines effectives d’enseignement. C’est beaucoup trop peu, considérant la diversité et la complexité des thèmes abordés, tels que définis dans le programme actuel d’éducation à la sexualité.
Recommandation : Que le temps accordé à l’éducation à la sexualité corresponde minimalement à une période complète d’enseignement par semaine de 5 jours, selon le niveau d’enseignement.
Le programme actuel aborde l’éducation à la sexualité sous plusieurs angles et c’est tout à son honneur. Toutefois, nous considérons que certains aspects doivent absolument être approfondis et d’autres ajoutés.
C’est quoi une violence sexuelle
La notion de ce qui constitue une violence sexuelle doit être approfondie et discutée tout au long du parcours éducatif (pour l’instant, cet aspect semble être abordé surtout au primaire). Le degré de compréhension tout comme la réalité des expériences vécues entre le primaire et la fin du secondaire varient grandement; nous considérons que ce thème doit être récurrent et évoluer avec le cheminement des enfants et des adolescent·es.
Le Y des femmes croit que le discours de prévention des violences sexuelles ne doit pas que s’adresser aux « victimes potentielles » mais également aux « agresseurs potentiels ». Les jeunes doivent comprendre ce qui constitue une violence sexuelle et ses impacts (physique, psychologique, social, etc.) sur la vie de la victime; la notion de consentement est ici fondamentale (le droit de retirer son consentement à tout moment de la relation; l’obligation de reconnaître, de respecter et d’accepter le consentement). Les aspects légaux et judiciaires liés à la violence sexuelle doivent aussi être présentés, par des spécialistes, et ce, tant au niveau des ressources et des recours pour les victimes qu’en ce qui concerne les conséquences légales pour les agresseurs.
Cyber sexualité
Les jeunes font leur propre éducation sexuelle en ligne. La pornographie est accessible au bout du clavier et leur envoie une vision tronquée de ce qu’est une relation sexuelle. La violence, l’inceste et le non-consentement y sont banalisés et même souvent présentés comme des facteurs d’excitation. D’autre part, plusieurs jeunes vivent et partagent leur sexualité par voies électroniques (sextage, échange de photos et vidéos (nudes), sexe en ligne (cam sex, streaming). La cyber sexualité n’est plus un phénomène marginal; elle est devenue une composante essentielle de la sexualité des jeunes, tant pour découvrir, s’informer, s’éduquer que pour développer ou entretenir des relations amoureuses. Elle doit être abordée comme telle.
Exploitation sexuelle
Le Y des femmes considère que le phénomène de l’exploitation sexuelle doit aussi être ajouté dans le cursus. La mise en place d’une commission parlementaire spéciale sur la question démontre l’importance de cet enjeu social. Malheureusement, pour le moment, nous faisons régulièrement face à des écoles qui déclinent les ateliers de prévention d’exploitation sexuelle, car ils ne font pas partie des thèmes inclus dans les contenus en éducation à la sexualité,
Nous remarquons une montée du discours qui cherche à valoriser les activités reliées au commerce du sexe et à l’exploitation sexuelle. Le recrutement des filles à des fins d’exploitation sexuelle fait la promotion de l’aspect « glamour » du commerce du sexe. Les termes « travail » du sexe, escorte de luxe, empowerment (pour celles qui s’y adonnent), activité commerciale, entrepreneuses du sexe sont tous des termes qui font miroiter l’argent, l’agentivité, le libre choix (pas toujours si présent ni évident) des travailleuses du sexe et souligne l’aspect consensuel (ou non) de cette activité.
Ces arguments trouvent un écho croissant chez les jeunes filles. Nous entendons, parmi les groupes de filles avec lesquels nous ou nos partenaires travaillons, des réflexions du genre « l’important, c’est d’avoir un bon manager1, quelqu’un qui prend vraiment soin de toi » ou des remarques comme « être escorte, c’est pas mal plus payant qu’une job au salaire minimum pis t’as des beaux vêtements ». Quand on souligne la violence ou la dimension sexuelle associée à ces offres, les filles sont souvent surprises, elles ne sont pas conscientes de cet aspect. Leur réaction en dit long sur la tromperie du discours et l’illusion de libre choix : « mais… on peut toujours dire non, hein? ».
D’autre part, les tactiques de recrutement se raffinent et s’adaptent aux plateformes de réseausocialisation. Les mesures de sensibilisation auprès des jeunes (filles et garçons) doivent donc aborder directement des thèmes comme les tactiques de recrutement et la violence inhérente à l’exploitation sexuelle afin de lutter contre la banalisation et la « glamourisation » du phénomène. En abordant la réalité du recrutement en amont et l’impact de l’exploitation sexuelle sur les victimes, non seulement nous les outillons pour ne pas se faire exploiter…mais aussi à ne pas vouloir exploiter.
L’expertise terrain
La cyber sexualité et l’exploitation sexuelle sont des contenus dont la nature diffère grandement des autres thèmes où des données concrètes, empiriques et des contenus pédagogiques existent déjà. Le Y des femmes considère que l’expertise développée par des organismes communautaires oeuvrant directement auprès des jeunes doit être mise à profit pour développer ces thèmes. Nous croyons aussi que les jeunes eux-mêmes devraient être consultés pour que le cours réponde vraiment à leurs besoins, à leurs préoccupations et aux enjeux auxquels ils font face.
Recommandations
- Que la notion de ce qui constitue une violence sexuelle soit récurrente tout au long du cursus;
- Que les concepts de cyber sexualité et d’exploitation sexuelle soient ajoutés au cursus;
- Que l’expertise des organismes communautaires oeuvrant auprès des jeunes soit mise à profit pour développer et transmettre ces nouveaux thèmes;
- Que les jeunes soient consultés sur les enjeux auxquels ils font face en matière de sexualité;
Medium is the message
Quand nous avons élaboré le projet Connais-tu LA limite? pour aborder la notion de consentement sexuel, nous avons choisi la réalité virtuelle comme moyen de sensibilisation. Nous avons vite réalisé que ce choix s’est avéré déterminant pour rejoindre efficacement les jeunes hommes. En effet, curieux de vivre une expérience de réalité virtuelle, ils s’approchent volontiers de notre kiosque. Résultat : près de la moitié des personnes qui visionnent cette vidéo de sensibilisation au consentement sexuel sont de sexe masculin. Ici, de toute évidence, la maxime de Marshall McLuhan prend tout son sens.
Cette anecdote illustre notre prochaine recommandation. Nous croyons fermement que le format du futur cours doit sortir du cadre actuel de l’enseignement pour être adapté aux modes de consommation d’information des jeunes. Les thèmes et enjeux traités sont fondamentaux pour construire une société égalitaire, inclusive et non-violente et une éducation efficace à ces notions doit d’abord susciter l’attention et l’intérêt. Des avenues différentes mériteraient d’être explorées comme, par exemple, la (auto) formation en ligne (jeux ou vidéos interactifs, réalité virtuelle), des possibilités de clavardage (les questions soulevées en privé peuvent éviter de subir des commentaires désobligeants ou de l’intimidation), des témoignages, des capsules vidéos, etc.
De même, le Y des femmes de Montréal considère que la « livraison » de ce cours ne devrait pas exclusivement reposer sur les épaules des enseignant.es. Nous croyons que des spécialistes des différentes thématiques abordées devraient être invités à livrer certains contenus en compagnie des enseignant.es, bien sûr (intervenant.es d’organismes communautaires, policiers, survivant.es, ex-proxénètes, sexologues, etc.).
Finalement, afin de diversifier les modèles, les discours et la façon d’aborder certains sujets, nous recommandons que les « silos de genre » soient éclatés. Il est impératif que la dimension de l’éducation à la sexualité ne soit pas exclusivement transmise par des femmes. Les jeunes ont aussi besoin de modèles masculins qui font la promotion de relations saines et égalitaires. L’égalité et la non-violence sont l’affaire de tous et de toutes.
Recommandations
- Que le format, ton et moyens utilisés pour transmettre la matière soient adaptés aux modes de communications utilisés par les jeunes.
- Selon les thématiques, que certains modules du cours soient donnés par des spécialistes des thèmes abordés (organismes communautaires, policiers, survivant·es, travailleur·ses de rue, sexologues, etc.)
- Que les « silos de genres » soient éclatés au moment de livrer la matière.
Développement de soi et des relations interpersonnelles
Esprit critique
Le Y des femmes croit que le développement de l’esprit critique est essentiel pour favoriser le développement de soi et de relations interpersonnelles saines. Nous croyons que la capacité de se questionner sur différents sujets, de vérifier si ce qui est présenté correspond « à ce que je suis, à mes attentes, à mes besoins » est tout aussi importante que la capacité d’apprendre, de mémoriser et d’utiliser des contenus et connaissances. Le futur cours devrait favoriser le développement de cet esprit critique, en favorisant les échanges, les débats et la réflexion, et ce, dans tous les aspects de la vie des jeunes, que ce soit sur le plan des stéréotypes (genre, apparence, origines, etc.) que sur celui des choix de carrière, des relations amoureuses et amicales, de l’actualité (les fausses nouvelles), de la culture populaire, des médias sociaux ou de la publicité, par exemple.
Égalité et équité
Un des thèmes fondamentaux à aborder avec un esprit critique est celui de l’égalité des sexes. Cette égalité est garantie par les différentes lois ainsi que par la Charte des droits et libertés de la personne. Pourtant, force est de constater que cette égalité n’est pas atteinte dans les faits.2 Que ce soit au niveau des revenus, des postes décisionnels, des emplois, des violences sexuelles et conjugales, etc., les femmes et les hommes ne vivent pas les mêmes réalités et ne jouissent pas de situations égales. Même au niveau des perceptions, un sondage mené par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse fait état que plus de 30 % des répondants considèrent « normal que certains emplois ne sont pas faits pour les femmes », tandis plus du tiers estiment que « nous sommes allés trop loin en favorisant l’égalité des droits dans ce pays ».
Une application de l’ADS+ ferait en sorte que ces inégalités persistantes soient présentées et discutées avec les jeunes. Les facteurs systémiques et sociaux menant à ces inégalités seraient ainsi abordés, permettant une réflexion en profondeur et une évolution des mentalités sur les inégalités de genres. Ici encore, des spécialistes externes au milieu de l’éducation mériteraient d’être mis à contribution (organismes de défense des droits, sociologues, économistes, etc.) tant dans l’élaboration des thèmes à traiter que dans la transmission des contenus.
Finalement, conformément aux principes d’évaluation qu’il applique au sein de ses propres programmes, le Y des femmes considère que l’évaluation du cheminement des jeunes devrait être basée sur des principes d’évaluation évolutive et qualitative. Il s’agit ici de transmettre des notions touchant le savoir-être et non le savoir-faire et les critères d’évaluation doivent tenir compte de cette différence fondamentale.
Recommandations
- Que le futur cours favorise le développement de l’esprit critique des jeunes;
- Que les enjeux des inégalités persistantes entre les sexes (et plus) fassent partie officielle du contenu du cours et soient abordés d’une manière intersectionnelle;
- Que des spécialistes sur ces enjeux contribuent à l’élaboration et à la transmission des contenus.
- Que les méthodes d’évaluation soient adaptées à un contenu qui vise la construction du savoir-être.
Conclusion
Depuis 145 ans, le Y des femmes de Montréal a sans cesse contribué à générer des changements positifs et durables quant à l’égalité, à l’inclusion, à la sécurité et à la non-violence envers les femmes et les filles. Nous sommes heureuses aujourd’hui de contribuer de nouveau à un processus de réflexion qui guidera le ministère de l’Éducation du Québec dans l’élaboration du cours qui remplacera celui d’éthique et culture religieuse.
Notes
1 Le terme « manager » fait également partie de ce discours « entrepreneurial » qui permet d’attirer les filles plus facilement.
2 Les statistiques présentées dans les différentes publications du Conseil du statut de la femme (parutions annuelles du Portrait des québécoises en 8 temps, portraits régionaux et provincial des statistiques Égalité Hommes-femmes) et du Secrétariat à la condition féminine (Portrait statistique de l’évolution de l’égalité entre les femmes et les hommes, 2015) en font foi.